Comment les établissements privés développent-ils des méthodes pédagogiques modernes tout en conservant leurs racines ? Ces méthodes disruptives peuvent-elles éclairer l’Education nationale dans sa réflexion ? Quelles sont les exigences des parents d’aujourd’hui ? Comment parents et professeurs peuvent-ils travailler ensemble et porter un projet commun ? Telles sont les questions qui ont animé les participants au petit-déjeuner organisé par HEIP et la Revue Politique et Parlementaire le 14 décembre dernier.
« l’autonomie des chefs d’établissement de l’enseignement privé a permis une innovation fantastique depuis quarante ans »
Jean de Chalendar, dirigeant de l’Institut de La Tour, rappelle que l’autonomie des chefs d’établissement de l’enseignement privé voulue par la loi Debré a permis une innovation fantastique depuis quarante ans. L’enseignement privé sous contrat d’association avec l’Etat, qu’il soit confessionnel ou laïc, a ainsi pu créer des écoles avec des projets forts. L’Institut de La Tour a notamment renforcé sa dimension internationale par une section anglophone et une offre de huit langues étrangères. Cet environnement multiculturel, appuyé sur des traditions notamment autour de l’Evangile, favorise l’épanouissement des élèves. La bienveillance éducative, l’accompagnement des parents, le suivi personnalisé des enfants sont les forces de l’enseignement sous contrat, souligne-t-il.
Cependant des directives ministérielles limitent toujours l’autonomie des établissements notamment concernant le tronc commun, regrette Jean de Chalendar.

Servane Rayne, professeur en CGPE et membre de Parents Professeurs Ensemble (PPE), relève que les établissements ont effectivement besoin de davantage de souplesse et de marge de manoeuvre pour pouvoir tester différentes méthodes pédagogiques. Sur la plateforme numérique mise en place par PPE, parents et enseignants font part de leur expérience et émettent des propositions concrètes. Ils ne cherchent pas à remplacer le système actuel, mais testent d’autres manières de faire, beaucoup d’expériences sont menées sur le terrain mais de façon isolée, constate Servane Rayne. L’objectif de PPE est donc de donner de la visibilité aux expériences qui fonctionnent et de les développer. Les attentes des parents rencontrent celles des professeurs, remarque-t-elle, : plus de liberté, de légitimité dans le choix de l’école, de diversité dans l’offre pédagogique de l’Education nationale, de relations avec les enseignants. Servane Rayne souligne également le travail effectué par certaines associations qui sont souvent un moyen pour les parents de recréer le lien avec l’école quand celui-ci est rompu.
Elisabeth Zéboulon, directrice générale de l’école Jeannine Manuel, précise que l’innovation est possible au sein des écoles publiques, mais qu’elles sont cependant confrontées à un problème d’engagement collectif. Les chefs d’établissement et les enseignants ne restant en poste que pour trois à cinq ans, il est difficile de fédérer des équipes autour d’un projet commun. Les écoles privées choisissent leurs professeurs et vont étroitement les associer au projet de l’établissement afin que chacun y collabore. L’Ecole Jeannine Manuel accueille des élèves du monde entier ce qui pourrait compliquer les choses, mais ce n’est pas le cas car nous avons un projet très clair auquel les parents, les élèves et les professeurs adhèrent note Elisabeth Zéboulon.
Samuel Sywie, représentant de la PEEP précise que les établissements les plus prestigieux ne sont pas confrontés à cette difficulté, les professeurs restant en poste plus longtemps ce qui facilite l’esprit d’équipe et le travail en collaboration. Il ajoute que le véritable combat des fédérations de parents d’élèves est de réussir à faire entrer ces derniers dans l’école car tout ce qui se passe en classe doit être prolongé à la maison. Certains parents n’osent pas rentrer dans l’école car c’est le lieu du savoir, constate Servane Rayne. Pour Jean de Chalendar deux défis se présentent, le premier est d’associer tous les parents à la communauté de l’établissement, le second est de réconcilier les parents et les professeurs en les faisant travailler ensemble pour faire évoluer le projet de l’école. Les parents doivent comprendre ce que font leurs enfants, c’est ainsi qu’on luttera contre le décrochage scolaire, insiste Elisabeth Zéboulon. De nombreuses écoles et professeurs sont sensibilisés à cet enjeu. Mais parfois, le côté militant visant à prétendre que pour le bien de l’enfant il ne faut pas viser trop haut vient perturber cet objectif regrette-t-elle. C’est toute la question entre bienveillance et exigence explique Samuel Sywie. La bienveillance sans l’exigence est une absurdité et l’exigence sans la bienveillance est néfaste. Il est vrai que certaines écoles sont passées à une bienveillance totale, ce qui risque de nuire aux jeunes plus tard, déplore-t-il.

Régis Passerieux rappelle que l’école a hérité d’un système militaire. La IIIe République considérait que les chefs d’établissement étaient des chefs d’escadron qui devaient être mutés régulièrement, que leurs troupes devaient être mobiles, on ne s’attachait pas, on faisait obéir les élèves. Aujourd’hui alors que nous sommes dans un monde où le consumérisme différencie les individus il y a une collusion entre notre système idéologiquement militaire dans sa construction et un système où les parents sont des hyperconsommateurs. Cela ne peut plus fonctionner, affirme-t-il. Entre ces deux systèmes, il y a des communautés vivantes qu’il faut laisser vivre et se déployer. Il faut leur donner des moyens pour développer des projets. Il y aura des erreurs, des tâtonnements, mais il y en a tout autant dans des systèmes d’hyperbureaucratie et d’hypermarchandisation.
« C’est eux qui inventeront ce qui se passera dans trente ans. En les formant, nous les préparons à ce qu’ils vont inventer ensuite. »
Elisabeth Zéboulon précise qu’il est important de se questionner sur ce qui va se passer pour ces jeunes dans trente ans. Nous avons compris qu’ils ne veulent plus apprendre comme avant et nous mettons en place d’autres méthodes éducatives. Mais qu’est-il important et urgent de leur apprendre s’interroge-t-elle. C’est eux qui inventeront ce qui se passera dans trente ans conclut Servane Rayne. En les formant, nous les préparons à ce qu’ils vont inventer ensuite.
Synthèse réalisée par Florence Delivertoux, Secrétaire générale de rédaction Revue Politique et Parlementaire